Ville d'architecture

Les tours de la Porte Océane se dressaient sur ma gauche, à l’entrée de l’avenue Foch. Cette architecture monumentale me semblait aujourd’hui presque radieuse […].
Tout ce que j’avais longtemps regardé comme banal m’apparaissait sous une lumière différente. L’urbanisme géométrique s’organisait en vastes perspectives. Les tours, parallélépipèdes, jets d’eau et plantations se déployaient autour de l’hôtel de ville comme un immense jardin à la française. Dressant encore la tête, j’admirai le clocher de Saint-Joseph et sa ligne cubiste élevée dans le ciel
. Benoît DUTEURTRE, L’Été 76 ©Gallimard, 2011, p. 134.


Ville de bord de mer


Nous nous retrouvions d’ordinaire au Havre qui nous paraissait plus gai que Rouen. J’aimais les vieux bassins, leurs quais bordés de boîtes à matelots et d’hôtels borgnes, les maisons étroites coiffées de toits d’ardoises qui leur tombaient jusqu’aux yeux […] 
La plus jolie rue du quartier, c’était la rue des Galions dont au soir les enseignes multicolores s’allumaient : le Chat noir, la Lanterne rouge, le Moulin rose, l’Étoile violette ; tous les Havrais la connaissaient : entre les bordels gardés par de robustes maquerelles s’ouvrait le restaurant réputé de La Grosse Tonne ; nous allions de temps en temps y manger la sole normande et le soufflé au Calvados […] 
Le Havre était un grand port ; des gens venus d’un peu partout s’y mélangeaient ; on y brassait de grosses affaires selon les méthodes modernes ; on y vivait au présent, au lieu de s’incruster dans les ombres du passé. 
Simone de BEAUVOIR, La Force de l’âge©Gallimard, 1960, p. 209. 

On discernait bien les navires, de cet endroit-là, les venues, les rencontres du port… C’était comme un vrai jeu magique… sur l’eau à remuer de tous les reflets… tous les hublots qui passent, qui viennent, qui scintillent encore… […]
Mon père, il se méfiait des jeux de l’imagination. Il se parlait tout seul dans les coins. Il voulait pas se faire entraîner… À l’intérieur ça devait bouillir…
Au Havre, qu’il était né. Il savait tout sur les navires. Louis-Ferdinand CÉLINE, Mort à crédit©Gallimard, 1936. Citations extraites du volume Folio, p. 229 et 60.


Quand il fut tout près de la Perle, le père Roland leva son chapeau, les deux femmes agitèrent leurs mouchoirs, et une demi-douzaine d’ombrelles répondirent à ces saluts en se balançant vivement sur le paquebot qui s’éloigna, laissant derrière lui, sur la surface paisible et luisante de la mer, quelques lentes ondulations.
Et on voyait d’autres navires, coiffés aussi de fumée, accourant de tous les points de l’horizon vers la jetée courte et blanche qui les avalait comme une bouche, l’un après l’autre. Et les barques de pêche et les grands voiliers aux mâtures légères glissant sur le ciel, traînés par d’imperceptibles remorqueurs, arrivaient tous, vite ou lentement, vers cet ogre dévorant, qui, de temps en temps, semblait repu, et rejetait vers la pleine mer une autre flotte de paquebots, de bricks, de goélettes, de trois-mâts chargés de ramures emmêlées. Guy de MAUPASSANT, Pierre et Jean, Ollendorf, 1889. Citation extraite du volume Folio, p. 71. 

Ville aérée et verdoyante


Donc j’étais tout à l’heure au Jardin public. La racine du marronnier s’enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c’était une racine. Les mots s’étaient évanouis et, avec eux, la signification des choses, leurs modes d’emploi, les faibles repères que les hommes ont tracés à leur surface. J’étais assis, un peu voûté, la tête basse, seul en face de cette masse noire et noueuse, entièrement brute et qui me faisait peur. Et puis j’ai eu cette illumination.

Ça m’a coupé le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n’avais pressenti ce que voulait dire ‘exister’. Jean-Paul SARTRE, La Nausée © Gallimard, 1938. Citation extraite du volume Folio, p. 181.